samedi, novembre 21, 2009

Le renouveau d’un rituel funéraire : "revival" de la cérémonie du breuriez à Plougastel-Daoulas

André Malraux « pressentait un retour de la mystique, mais sous une forme imprévisible », et selon Mircea Eliade, le sacré n’est pas un moment de l’histoire de la conscience, car le besoin du sacré « est une nécessité liée à notre condition ». En fait actuellement, « ceux qui cherchent à retrouver le spirituel dans la modernité le font avec un engagement qui implique le corps [...]. Ils sont “traditionalistes” dans la mesure où ils vont puiser le renouveau dans les grandes expériences du passé. »
Sans doute ces propos peuvent-ils convenir à quelques habitants de la commune de Plougastel-Daoulas en Finistère, et au renouveau d’une tradition dont ils sont à l’origine depuis 1981. S’inscrivant dans une tendance d’un besoin du sacré inhérent à l’homme, on peut penser que ce renouveau d’une tradition spécifique à la presqu’île de Plougastel – au même titre que ses fraises et son calvaire en sont les attributs – participe également d’un mouvement de patrimonialisation (mise en valeur du patrimoine) depuis quelques années.

Plougastel-Daoulas

Enfant d’un pays déjà célébré par Cambry près de deux siècles plus tôt à l’occasion d’un voyage dans le Finistère, Louis-Marie Bodénès décrit ainsi simplement sa commune : « PLOUGASTEL est une presqu’île parfaitement délimitée par la rade de BREST dans laquelle elle s’allonge, par l’ELORN, le cours inférieur de la rivière de DAOULAS et du côté de la terre par les landes de LOPERHET. Elle est isolée, mais non éloignée, de BREST et de LANDERNEAU. C’est une paroisse cornouaillaise à la limite du LÉON. [...] Les hommes sont appelés les Plougastels, tout simplement, et les femmes les Plougastellen. » C’est dans ce cadre, dont en particulier les propos enthousiastes et poétiques de Cambry rejoignent étrangement les nombreuses évocations du “verger d’Éden” et des “îles fortunées”, que la tradition du breuriez s’est exercée en tant que l’une des formes d’expression du caractère si particulier et spécifique à cette commune. Ces merveilleuses évocations, le plus souvent insulaires, expriment le regret de l’état de nature et de l’âge d’or perdu, où « dans les mentalités de jadis un lien quasi structurel unissait bonheur et jardin. » Mais c’est aussi dans ce lieu édénique, cet « isolat étroitement refermé », que la tradition du breuriez commencera à décliner à partir des années 1920 (cf. courbe et histogramme), jusqu’à la totale disparition sous sa forme spontanée en 1980.



I. La cérémonie du breuriez

La cérémonie du breuriez est une forme de rituel commémoratif (cf. ci-dessous en bleu), auquel on reconnaît une origine celtique, et se déroulant chaque 1er novembre dans la commune de Plougastel-Daoulas. La solidarité entre vivants pour les membres d’un même breuriez existe également au delà de la vie, et s’exprime envers les morts au cours de ce rituel représentant la manifestation la plus remarquable de cette forme de rapports privilégiés au jour de la Toussaint. Cette manifestation constitue sans doute la forme essentielle de la solidarité entre membres d’un même breuriez. Elle leur permet une fois l’an de réunir toutes les familles, pour participer à un rite funéraire particulier afin d’affirmer la fraternité des vivants envers les morts et d’exprimer autant que conforter ainsi symboliquement leur unité et leur cohésion sociale par l’intermédiaire de leurs morts.
Dans le cadre restreint et isolé de la presqu’île, cette conception de la mort prend donc la forme d’un rituel funéraire, qui a subsisté sous sa forme spontanée jusque dans la seconde moitié du XXe siècle.
Simple institution paroissiale en pratique, le breuriez est en fait un “système complexe” ainsi qu’une unité paysanne, et l’on peut estimer qu’il a sa raison d’être dans sa cérémonie, que la communauté des Plougastels a pu maintenir dans ses prolongements historiques sous la forme d’un rituel, auquel correspondent un réseau d’entraide et un réseau territorial constitués des regroupements de familles de plusieurs villages dans toute la commune.
Le jour de la Toussaint, les membres des 23 breuriez (bourg compris) se réunissent en autant de lieux.

« Le 1er novembre, jour où se déroule la cérémonie du breuriez, était l’une des quatre grandes fêtes du temps calendaire celtique. Elle marque le début de la saison sombre comme la fête du 1er mai, six mois plus tard, inaugure la saison claire. Les noms bretons de ces deux fêtes – kala goañv (1er novembre) et kala hañv ou kala mae (1er mai), littéralement “calendes d’hiver” et “calendes d’été” ou “de mai” –, comme celui du mois de novembre – du : “noir” – témoignent encore de ce découpage du cycle annuel en deux moitiés inverses et opposés, hivernale et estivale.Cette nuit du 1er novembre est le véritable commencement de l’année, celle où la nuit l’emporte sur le jour, et c’est en même temps la fin de l’année précédente. C’est une “période close” qui n’appartient ni à l’année qui se termine ni à celle qui commence (C.-J. GUYONVARC’H), une nuit où, selon l’expression de M.-L. SJŒSTEDT, “tout le surnaturel se précipite, prêt à envahir le monde humain”. Son nom irlandais – samain – signifie la “fin ou la récapitulation de l’été” et se retrouve dans le gaulois samonios qui désignait le premier mois de l’année dans le calendrier gallo-romain retrouvé à Coligny, dans l’Ain, à la fin du siècle dernier. » (Donatien LAURENT, Directeur du CRBC, UBO, Brest).

II. Le renouveau d’un rituel funéraire

La réactivation de la coutume du breuriez – d’initiative associative – constitue un besoin pour la société plougastellen, en cours de transformation, de renouer avec des traditions et de ressentir un sentiment d’appartenance à un groupe ou une communauté, même si actuellement, certains “acteurs du rituel”, formant l’assistance, sont simplement spectateurs et “étrangers” à la commune.
Le rituel est désormais dépouillé de son strict cadre référentiel et de toutes les conditions essentielles qui en rendaient auparavant la pratique nécessaire et naturelle au sein de la société traditionnelle plougastellen. Les organisateurs de la cérémonie réactivée du breuriez, relayés par la municipalité et les médias locaux, parlent de « vieille tradition » et de « survie ». Or, n’est-ce pas une erreur que de vouloir à tout prix incorporer dans le champ de la tradition des formes de manifestation altérées d’une coutume ? avec l’idée de permanence de sa transmission – bien qu’il y ait eu rupture en 1980 –, alors qu’elle se déroule indûment et évidemment dans le champ de la modernité, et que, par là, elle y perd donc ce statut traditionnel, qui demeure par définition celui d’un mode de vie tout entier, la façon de vivre d’un milieu social traditionnel qui ne se réduit pas simplement à une forme unique de manifestation. Car la tradition et une pratique traditionnelle sont le fait d’une société traditionnelle à tous les jours de l’année, à chaque aspect de ses jours et dans la moindre de ses manifestations.
Il y a ici un hiatus évident entre la tradition et sa récupération sous une forme nouvelle et altérée, mais la vertu sociale, cohésive et spirituelle de la réactivation de la tradition est tout de même manifeste, et devrait se suffire sans pour autant devoir se positionner en tant qu’“héritière” d’une tradition.

III. Rupture et reprise dans la pratique d’une tradition

Il faut bien constater que la fête et le rituel mettent ici en relief une rupture dans la pratique de la tradition, soit définitive soit avec une reprise, ou alors d’une pratique sans solution de continuité. Ce constat se situe au niveau d’une réflexion qui est à mener sur la longévité des rites.
En 1969, Robert Cresswell remarquait que l’univers spirituel traditionnel des Irlandais avait été banni par l’Église, bien que non détruit, et que le destin de leur autre monde de conception celtique était « l’oubli, comme le reste de la tradition orale, en attendant qu’arrive le stade de développement de la culture industrielle où le besoin se fera sentir de rouvrir ces portes à moitié oubliées. » Mais « il semblerait que l’accès d’un pays au niveau industriel crée en premier lieu une très forte pression sur les habitants des bourgs des campagnes agricoles. » L’industrialisation conduit à un changement radical sur le plan économique, social et des mentalités, ainsi qu’elle provoque un oubli du monde spirituel traditionnel qui n’est plus adéquat, et auquel se substituent d’autres préoccupations parfois plus triviales, avant de revenir à des valeurs spirituelles.
Cozette Griffin-Kremer écrit que « tant que la vie quotidienne ne change pas profondément, la fête ne cesse d’exprimer une adéquation entre la réalité et la perception de la réalité dans des sociétés restées essentiellement rurales, où ce renvoi entre la réalité et la façon de l’organiser sous-tend une compréhension “totale” du monde. » Le mode de vie qui est ici évoqué, applicable sans doute à la commune de Plougastel-Daoulas jusqu’au début des années 1930, n’a cessé de s’altérer par la suite, en dépit d’une “irréductibilité” de ses habitants. Mais aujourd’hui, peut-on penser également avec l’auteur que les campagnes de sauvetage auxquelles chacun peut assister dans les communautés rurales « ne sont pas de simples opérations de récupération, mais l’expression de besoins profonds, parfois diffus et confus, mais toujours présents. » ? Sans verser a contrario dans le pessimisme, on ne peut s’empêcher de songer ici au « romantisme mal taillé » évoqué par Robert Cresswell, et dont il convient d’être conscient. Sans doute assiste-t-on à Plougastel-Daoulas à des opérations de sauvetage comme celle du breuriez, mais qui ne paraissent pas recueillir l’assentiment général des anciens habitants de la commune. Peut-être les plus réticents espèrent-ils secrètement la réouverture des portes de l’autre monde et qu’ils n’osent pas ? ou peut-être n’y croient-ils plus suffisamment ? Mais peut-être jugent-ils aussi qu’il est trop tard et que ce n’est plus le temps ? Quant aux autres, une nostalgie affichée dans la bonne humeur ne suffit pas forcément à renouer avec un mode d’existence révolu, où les gestes avaient un sens profond et une raison d’être. Sans doute assiste-t-on à un regain général de spiritualité, témoignant effectivement de « besoins profonds, parfois diffus et confus », mais donc également d’une désorientation s’expliquant par l’inadéquation entre le souvenir d’une vie passée, la sienne ou celle des autres plus âgés – qu’ils soient des ascendants familiaux ou non –, et les exigences du présent par trop différent et davantage angoissant.

Robert Cresswell concluait que « l’Irlande traditionnelle, voire l’Irlande d’aujourd’hui, disparaît, certes, sans possibilité de retour, mais l’Irlande de demain existe en potentiel déjà. » Dans le même ordre d’idée, mais à une autre échelle, on peut penser que le Plougastel d’aujourd’hui c’est déjà demain, et que sa potentialité s’exprime pleinement, mais sans que l’on puisse pour autant deviner les embûches futures et les changements correspondants.


Bibliographie

BODENES Louis-Marie, Plougastel-Daoulas. Ses villages. Ses traditions, Éd. de la Cité, Brest, 1978, 320 p.
CAMBRY Jacques, Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795, Paris, an vii, 3e éd. J.-B. Le fournier, Brest, 1836, annotations par M. Le Chevalier de Fréminville, 480 p.
CRESSWELL Robert, Une communauté rurale de l’Irlande, Université de Paris, coll. Travaux et Mémoires de l’Institut d’Ethnologie, LXXIV, Musée de l’Homme, Paris, 1969, préf. d’André Leroi-Gourhan, 573 p.
DELUMEAU Jean, Une histoire du paradis, 2 t., Fayard, Paris, 1992, t. I, « Le Jardin des délices », 360 p.
GERMAIN-THOMAS Olivier, Religions. Le besoin du sacré, « Le Monde », “Le Monde des livres”, vendredi 18 juin 1993, p. 32.
GRIFFIN-KREMER Cozette, La fête du Premier Mai dans les traditions celtiques insulaires, mém. de DEA, dact., Université de Bretagne Occidentale, Faculté des Lettres et Sciences Sociales, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, nov. 1992, 76 p.
LE GALLO Yves, Clergé, religion et société en Basse-Bretagne. De la fin de l’Ancien Régime à 1840, 2 t., Éd. Ouvrières, Paris, 1991, t. I, 608 p.
MARTIN Eric, Milieu traditionnel et religion populaire. La cérémonie du breuriez à Plougastel-Daoulas, mémoire de Maîtrise, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1993.
MARTIN Eric, L’Arbre, la Pomme et la Mort. Un rituel funéraire en Bretagne et en Roumanie, mémoire de DEA, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1994.

vendredi, juin 30, 2006

Le culte de l’arbre en France et en Roumanie

En Bretagne, l’arbre est à considérer comme l’élément constitutif du rituel funéraire, particulièrement dans la commune de Plougastel-Daoulas (Finistère), qui a fait l’objet de nos études. L’arbre constitue alors la caractéristique fondamentale du rapport à la mort. Au contraire, en Roumanie, les funérailles, cérémonie qui accompagne l’une des principales étapes de l’existence de l’homme, ne représentent pas la seule occasion d’utilisation de cet arbre.

1) L’arbre, symbole de fécondité en Roumanie

En effet, en Roumanie, d’autres cérémonies marquant ces étapes – ou rites de passage – nécessitent la présence symbolique d’un arbre. C’est le cas de la naissance et du mariage par exemple ; l’arbre est alors utilisé dans le but de favoriser la fécondité.

Des célébrations suscitées par les préoccupations de la société paysanne ou rurale font, elles aussi, intervenir le culte de l’arbre. Alain Bouras précise que, parmi cet ensemble festif, on distingue les fêtes « qui se répètent chaque année (même si leur date est mobile) de celles qui accompagnent une occasion dont la date n’est pas fixée ». Il y a donc séparation en deux grands groupes de fêtes : « calendariques ou saisonnières d’une part, de modification du corps social (ou de rééquilibrage du groupe) d’autre part ».

La Roumanie, rappelle Alain Bourras, est « une société de cultivateurs et d’éleveurs et l’on peut s’attendre à ce que leur monde spirituel soit organisé collectivement de manière à mener l’individu à une conception du monde adéquate : construite en fonction du cycle de reproduction de la végétation, donc annuelle. On imagine la place que peut y prendre l’arbre, végétal par excellence. »

Ces fêtes peuvent être la source d’explications supplémentaires et en particulier la célébration du mariage puisque les noces sont en étroite relation avec la mort en Roumanie comme en France.

2) Sapin, hêtre ou pommier ?

Si l’arbre et son allure générale ainsi que la pomme sont les éléments invariants du rituel breton français, dans le rituel roumain, ces éléments varient par la forme et la nature selon les régions.

En effet, en Roumanie, les rituels de culte de l’arbre utilisent des espèces d’arbres et des formes diverses. Selon les régions, l’arbre peut être un grand sapin appelé « pom » ou « copac » que l’on amène lors des funérailles d’un jeune homme célibataire pour le marier à lui (des occasions où l’arbre vient prendre la place d’un homme se rencontrent également). Mais il s’agit parfois d’un hêtre, d’un pommier ou d’une branche de l’un de ces arbres à laquelle des pommes ont été attachées. Quelquefois, une autre espèce d’arbre est utilisée : une simple branche, travaillée ou non, et sur laquelle sont parfois fichées des pommes, d’autres fruits et d’autres objets ; enfin, il peut être encore un pilier de bois décoré qui vient à côté ou à la place d’une croix.

3) Spécificité des rituels roumains et bretons

Il ne faut pas perdre de vue que les rituels funéraires français et roumain prennent place à l’intérieur de sociétés identitaires spécifiques qui ont chacune développé un type d’organisation et un mode de fonctionnement en étroite relation avec la délimitation d’un territoire dans lequel s’inscrivent ces rituels et par lequel se définissent et se reconnaissent les acteurs de ces rituels « dendrolâtriques ».

Le rituel funéraire breton est célébré sous une forme commémorative le jour de la Toussaint selon l’Église catholique romaine alors que cette célébration a lieu en Roumanie selon le calendrier de l’Église orthodoxe orientale.

Bibliographie

Alain Bouras, Connaissance et utilisation des arbres dans le village roumain, Paris, oct. 1982.
Henri-François Buffet, En Bretagne morbihannaise. Coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au XIXe siècle, Grenoble-Paris, 1947.
Paul Henri Stahl, « La dendrolâtrie dans le folklore et l’art rustique du XIXe siècle en Roumanie », Archivio Internazionale di Etnografia e Preistoria, vol. II, 1959, Torino.

Funérailles et culte de l’arbre

Le culte de l’arbre, tradition ancestrale d’origine celte en Bretagne, vraisemblablement dace en Roumanie, est particulièrement présent lors des funérailles. Dans ces régions, l’arbre est en effet fréquemment associé à la mort si bien qu’il participe au déroulement de la cérémonie funéraire.

1) Arbre de la vie, arbre de la mort

Pour les paysans roumains, l’arbre est le symbole du Paradis. C’est sans doute la raison pour laquelle il est si souvent associé à la mort. Alain Bouras écrit à ce sujet que « la prière et le chant des aurores (« zori ») renseignent sur ce point. Au début de la mort est un voyage.

« Brade, brade sa-mi fi frate întinde, te întinde eu sa le pot prinde vîrfurile tale sa trec peste ele marea în cea parte ce lumea-mi desparte ».
« Sapin, ô sapin, sois mon frère et étends-toi que je puisse saisir ta cime que je passe sur eux cette mer qui me sépare de l’autre monde. »

On demande au sapin qu’il fasse un pont sur la grande eau qui sépare ce monde de l’autre. Le mort est supposé chanter cette « prière » alors qu’il arrive « au sapin des fées » qui marque le gué. Dans la suite du texte l’arbre après un moment d’appréhension finit par se pencher : le mort, lui, a dit que des frères et des cousins allaient le couper, des artisans allaient le sculpter pour faire de lui :

« Punte peste mare
s-aiba trecatoare
suflete ostenite
catre rai pornite ».
« Un pont sur la mer
pour qu’ait le passage
l’âme errante
partie vers le Paradis. »

[…] L’arbre sert donc à passer d’un monde à l’autre. Il est le pont ou le gué entre les deux mondes, et peut-être la seule brèche identifiée. Ne s’agit-il pas tout simplement de « l’arbre de vie », tel qu’il est connu dans bien des cultures, qui permet de passer d’un monde à un autre, dont les racines poussent sous terre, et la cime au ciel, le tronc appartenant à notre monde ? » Dans son rapport avec la mort pendant la fête, l’arbre est donc utilisé à des fins propitiatoires en tant que médiateur favorable. Il est non seulement reconnu par les vivants comme le moyen traditionnel qui permet à l’âme du défunt de parvenir sans encombre dans l’autre monde, mais il est aussi le garant de l’accession à cet autre monde pour la communauté tout entière qui régule le flot de ses membres en faisant participer tout le groupe au départ d’un seul individu.

2) Le déroulement des funérailles

Paul Henri Stahl écrit que « pour les fêtes du village, on utilisait n’importe quelle espèce, tout en préférant le sapin. Pour celles de la famille, le sapin, le pommier et le prunier étaient les seuls admis. Au premier cas, l’arbre n’était que rarement décoré ; au second il l’était toujours. Celui des cortèges funèbres portait aussi des dons (petits pains, craquelins, pommes, etc.) qui assuraient au mort les aliments nécessaires dans l’autre monde. »

Lors des cérémonies funéraires plus particulièrement « le sapin était souvent remplacé, sur les tombes, par les pommiers, poiriers ou pruniers, auxquels on attachait des fruits (quelquefois dorés), du pain d’épice, des craquelins, petits pains et pigeons en pâte. Une petite échelle, en pâte également, était appuyée à l’arbre. Une main moulée y figurait aussi. Des pièces de toile brodées et des rubans le garnissaient. Un cierge et un seau d’eau étaient posés près de lui. À la fin de la cérémonie on distribuait le tout en guise d’aumône. On manquait rarement de planter, près de la croix, un arbre fruitier, qu’on soignait. Des fruits et des arbres étaient distribués aux enfants et aux amis lors de la commémoration des défunts. C’était pour s’assurer une part, en retour, dans l’autre vie. »

On peut apprécier ici le rôle funéraire de l’arbre qui est dévolu notamment au pommier, et sa nature de fruitier dévoile alors toute son importance. L’importance accordée à la pomme comme nourriture pour le mort ou ces proches paraît faire de tout arbre funéraire un pommier funéraire, c’est-à-dire un arbre fruitier funéraire. Ainsi et même si les pommes ne sont que factices « le sapin des tombeaux du Nord de la Petite Valachie, qui orne le lieu de repos des jeunes gens non mariés, porte habituellement des pommes réalisées avec les branches recourbées de l’arbre, qui étaient ensuite couvertes de papier. Les branches qu’on offrait en aumône portaient aussi des pommes. » Manifestement le pommier est l’une des représentations privilégiées de l’arbre funéraire.

3) À la table du mort

Ce dernier exemple, présenté par Jean Bernabé dans son travail sur l’Olténie du Nord au sud-ouest de la Roumanie, expose la tradition du premier repas lors de l’enterrement. « À la tête de la table qui compte le plus d’invités on remarque maintenant une petite table ronde avec une ou deux chaises. C’est la « table du mort ». À côté de celle-ci se trouve la maîtresse de maison, tenant une branche de pommier dans la main. Comme pour les chaises, il y a deux branches si des exhumés sont également commémorés. Alors commence la bénédiction des tables.

Le prêtre encense d’abord la petite table ronde et ensuite la grande, en gardant sa position initiale. Ayant terminé, il passe avec l’encensoir entre les grandes tables et les bancs. Sur ce trajet, il est précédé par son aide qui porte une « coliva » supportant un ou plusieurs cierges. Après le prêtre viennent, en file indienne, la femme avec la branche de pommier et sous le bras gauche une poule vivante, une autre femme (éventuellement une voisine ou une jeune fille), qui tient un pain rond avec un cierge allumé au milieu et une cruche remplie d’eau, enfin, une femme qui tient une cruche avec de l’eau, qu’elle verse entre les tables et les bancs. Après cela, la table du mort et la branche de pommier sont données « de pomana » à une femme pauvre, ceci avant que les invités ne commencent le repas. »

Chaque élément a ici une signification particulière. La branche de pommier est un « symbole composé de la condition de l’âme. Elle comporte plusieurs objets :
1) au sommet, dans une fente pratiquée à dessein : une pièce de monnaie,
2) liée au sommet : un cierge,
3) attachés à la partie principale : une quenouille de laine, une de chanvre et une d’étoupe,
4) autour d’une branche plus mince : un pain rond et creux au milieu appelé « covrig » et que nous avons trouvé aussi au bras du mort, indépendamment du sexe ou de l’âge,
5) sur les branches latérales : des pommes en nombre impair,
6) liés à la branche principale, vers le milieu : deux épis de maïs,
7) à la même hauteur est lié un mouchoir avec une pièce de monnaie. »

Bibliographie

Jean Bernabé, Le symbolisme de la mort. Croyances et rites roumains, Gent, 1980.
Anatole Le Braz, La Légende de la Mort en Basse-Bretagne. Croyances, traditions et usages des Bretons Armoricains, Paris, 1893, 5e éd. 1928
Éric Martin, L’Arbre, la Pomme et la Mort. Un rituel funéraire en Bretagne et en Roumanie, mémoire de DEA, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1994.

Mariage et culte de l’arbre

En Bretagne, le culte de l’arbre est essentiellement célébré lors des funérailles alors qu’en Roumanie, les noces sont l’occasion d’une cérémonie lors de laquelle l’arbre occupe une place symbolique fondamentale. Pourtant, même lié au mariage, le culte de l’arbre demeure en rapport avec la mort.

1) Noces roumaines et culte de l’arbre

1.1) L’arbre du ménage

« L’arbre ou le pommier du ménage » concerne la vie d’outre tombe. Les mariés se reposeront après la mort, appuyés à son tronc et à l’abri de ses feuilles ; c’est pourquoi, dès la fin de la première année de vie commune, le couple s’occupe de son arbre. Une cérémonie est alors organisée, un dimanche, avant le repas de midi. Douze indigents sont invités à côté du prêtre et du chantre, des parrains et des parents. L’arbre du mariage, garni de fruits, est planté en terre à un bout de la table, l’escabeau près de lui. Un serpent moulé en cire et une pomme à la bouche, de la toile blanche, des fils rouges, des tourtes et des cierges y sont aussi attachés. Il figure l’arbre du Bien et du Mal.

Un pot garni de petits pains est posé devant chaque invité. Un arbrisseau ou une petite branche d’arbre est fixé dans un petit pain mis à côté. Le grand arbre est destiné aux parrains, c’est pourquoi leurs pains n’ont pas d’arbrisseau. La peau du mouton dont on a préparé les mets revient au prêtre qui prononce une prière avant le repas. Le mari repose sa main droite sur le tronc de l’arbre et dit à son parrain : « Cet arbre vous appartient, parrain, pendant cette vie. Dans l’autre il m’appartiendra ». Il répète le rite et prononce les mêmes paroles en s’adressant au prêtre et, à tour de rôle, à tous les convives. La cérémonie du pommier était célébrée naguère, dans certaines régions transylvaines, la veille du mariage.

1.2) Pommier ou sapin ?

Cette coutume montre toute l’importance que revêt le pommier dans cette vie comme dans l’autre. Paul Henri Stahl remarque cependant que « deux arbres se trouvent au premier plan : le sapin et le pommier. La préférence accordée au sapin s’explique d’abord par sa présence dans la plupart des régions roumaines, vivace et avec les feuilles continuellement vertes. Il a ensuite la vie dure, garde longtemps ses feuilles et sèche difficilement. Son tronc, droit, haut, forme avec les branches l’image de la croix. Ces dernières sont rigides et peuvent porter des objets.

Il est probable que le sapin fut l’objet d’un culte dans ces régions, même avant la formation du peuple roumain. Son nom même (« brad »), d’origine inconnue, semble être aussi antérieure à la formation des Roumains. Le pommier se rattache à la dendrolâtrie mais surtout au christianisme. Il symbolise l’arbre du Paradis. »

2) Noces françaises et culte de l’arbre

2.1) En Bretagne

En Bretagne, notamment dans le Morbihan et en Ille-et-Vilaine, on trouve aussi cet arbre du mariage ou arbre des noces. Henri-François Buffet décrit ainsi le retour au village d’un jeune couple après la célébration du mariage religieux (« en ered ») : « deux jeunes gens, désignés à l’avance, apportaient alors l’arbre du mariage (« guen ered/er huen ered »). C’était, sur la côte, une branche de laurier et, dans l’intérieur, un houx couvert de baies rouges. On y avait suspendu des pommes, des gâteaux, du tabac, des rubans et des fleurs. » Symbole de fécondité et de prospérité dans ce cas, en relation avec les fiançailles et le mariage, l’arbre est aussi décoré de pommes en plus d’autres objets.

L’auteur poursuit, toujours au sujet du Morbihan : « La première nuit du mariage était, en bien des lieux, consacrée à la Vierge. Les mariés ne couchaient pas ensemble et le couple d’honneur avait charge de faire respecter cette coutume que, dans des cas plus rares, on étendait à la deuxième nuit (nuit de Saint-Joseph) et à la troisième nuit (nuit des âmes du Purgatoire). La pensée des morts en effet n’était jamais absente, même au milieu des jours joyeux des noces ; il y avait toujours un service célébré en l’honneur des défunts des deux familles. »

2.2) Dans la vallée d’Ossau

La vallée d’Ossau dans les Pyrénées présente également le même genre de rituel au cours des noces ossaloises. Après le déjeuner qui se fait à part chez chacun des deux futurs époux, puis après la cérémonie religieuse à l’église, la mariée se retire chez elle avec ses invités. Robert Breifel nous apprend que « pendant ce temps, les invités du marié procèdent à la confection du présent [lou présen]. C’est un panier rond enrubanné, contenant pain en couronne, fromage, gigot et volaille, au milieu duquel est planté le pommier : le plus souvent, une cime de pin, bien polie, à laquelle on a laissé une dizaine de branches sur lesquelles sont plantées des pommes. C’est la marraine qui a le privilège de porter ce présent sur la tête. »

3) De la vie à la mort

La célébration du mariage est en étroite relation avec la mort en Roumanie comme en France ; elle peut donc servir à éclairer le rituel funéraire – les deux cérémonies comportant les mêmes éléments constitutifs et le rapport entre elles s’étendant même jusqu’à la célébration d’une mort-mariage en Roumanie. En tant que médiateur, l’arbre est donc bien présent non seulement aux deux extrémités d’une chaîne représentant le chemin qui va de la vie à la mort mais également à l’étape intermédiaire pivot, en passant par la naissance ou la résurrection – c’est-à-dire le retour à la vie –, le mariage et son rapport à la fécondité puis le départ pour l’autre monde.

De fait l’arbre est le plus souvent un pommier – c’est-à-dire un pommier funéraire ou un pommier du ménage, selon les expressions de Paul Henri Stahl ; il est donc, symboliquement, un arbre de mort et un arbre de vie : l’arbre fruitier funéraire et l’arbre fruitier du mariage.

Le conte suivant illustre parfaitement ce symbole : un petit garçon apportant une lettre au Paradis voit sur sa route trois pommiers dont l’un est chargé de belles pommes mûres, un autre de pommes à peine formées et un troisième, couvert de fleurs. Le garçon apprend que « celui qui porte de belles pommes rouges représente l’homme dans la force de l’âge et de la santé ; celui qui porte des fruits à peine formés représente l’enfant qui vient de naître ; et celui qui est en fleurs représente le germe, dans le sein de la mère. »

Bibliographie
Robert Brefeil, Images folkloriques d’Ossau, Pau, 1972.
Henri-François Buffet, En Bretagne morbihannaise. Coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au XIXe siècle, Grenoble–Paris, 1947.
Paul Henri Stahl, « La dendrolâtrie dans le folklore et l’art rustique du XIXe siècle en Roumanie », Archivio Internazionale di Etnografia e Preistoria, vol. II, 1959, Torino.

Les origines du culte de l’arbre

Par la date de sa célébration, les éléments qui le caractérisent, son implantation géographique et sa forme d’organisation sociale, on reconnaît une origine celtique au rituel funéraire breton ; de même, en Roumanie, les origines du culte de l’arbre se fondent dans l’héritage dace. Ces pratiques païennes ont cependant été partiellement perpétuées après la christianisation si bien qu’au XXe siècle le culte de l’arbre est toujours ancré dans les traditions roumaines et bretonnes.

1) « Samain » celte et Toussaint

En Bretagne, la Toussaint marque davantage la fête des trépassés que celle de tous les saints. Dans ce pays où « le séjour des morts se confond avec celui des vivants », écrit l’ethnologue Anatole Le Braz, la Toussaint célèbre les âmes des disparus, des trépassés, et « ces êtres d’outre-tombe sont désignés par un nom collectif : ann Anaon, les Âmes. »

À Plougastel-Daoulas, la Toussaint se confond aussi avec la Fête des Morts ou Nuit des Morts. C’est le jour de l’ancienne fête irlandaise du 1er novembre – « samain » – qui marque le début de l’année celtique. C’est l’époque des calendes de l’hiver (« kala goañv ») qui désignent en breton comme en gallois les premiers jours de novembre, le mois des morts mais aussi celui des semailles, de la vie.

2) Héritage dace et christianisation en Roumanie

En Roumanie Michel Dion, ethnologue, écrit qu’« aujourd’hui, on revendique un double héritage, celui des Daces et celui de la colonisation romaine des premiers siècles de notre ère. Par les Daces, on remonte vers les croyances et les mentalités du néolithique et par la colonisation romaine, on trouve le christianisme des origines ».

On sait, d’une manière générale, comment l’Église a pu triompher ou convertir les croyances païennes, les anciennes fêtes et de nombreuses autres occasions de réjouissances populaires. Pourtant il est toujours possible de reconnaître sous une forme plus ou moins résiduelle quelque élément témoignant d’une forme plus ancienne de telle croyance ou telle célébration festive à présent éclipsée par le christianisme. Le rituel funéraire breton en est une bonne illustration. Dans cette perspective, qu’il s’agisse de l’Église catholique ou orthodoxe, le christianisme ne nuit pas à la reconnaissance d’un substrat antérieur.

Bibliographie

Michel Dion, « Religion et politique dans la République Socialiste de Roumanie », Ethnologie des faits religieux en Europe, Colloque CTHS, 1988, Paris, 1993.
François-Marie Luzel, Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne, Paris, 1881.
Éric Martin, Milieu traditionnel et religion populaire. La cérémonie du breuriez à Plougastel-Daoulas, mémoire de Maîtrise, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1993.

Le culte de l’arbre ou la dendrolâtrie

Le culte de l’arbre ou « dendrolâtrie » (du grec « dendron » qui signifie arbre) est préhistorique ; il remonte aux origines les plus archaïques et procède de motivations originelles. L’arbre est l’une des grandes manifestations naturelles qui ont impressionné l’imaginaire de l’homme et qui ont contribué au développement de la sacralité des mystères de la nature ; l’arbre est un invariant culturel et cultuel universel.

1) De la vie à la mort

S’agissant d’un plant, en terre ou coupé, d’une branche, d’un pilier, d’une perche ou d’une croix, l’arbre est aussi un invariant temporel en dépit des mutations qu’il adopte dans la forme. Mais ce qui le caractérise, par-delà ses adaptations géographiques, temporelles et socioculturelles, c’est qu’il reste reconnaissable car primordial : il est la verticalité, le signe de l’ascension et de la conjonction entre deux mondes.

Dans toutes les sociétés, à un moment de leur histoire, l’arbre a été considéré en tant qu’« axis mundi » : il symbolise le trait d’union et le rapport entre le monde horizontal de l’homme et le monde vertical invisible d’au-dessus et d’en dessous, l’au-delà. Son culte est un moyen de régénération pour la société qui le célèbre et les traditions l’utilisant dans leur déroulement sont des fêtes de raffermissement et de rééquilibrage du corps social.

2) Le culte des sociétés traditionnelles

Le culte de l’arbre est attesté dans tout le domaine indo-européen et survit de nos jours sous une forme ou une autre. En lien direct avec la fertilité et la mort, sous une forme ancienne ou rustique héritée du passé millénaire et encore peu métamorphosée, il demeure observable aujourd’hui dans des sociétés considérées comme modernes sur le plan industriel mais restées traditionnelles sur le plan spirituel ; c’est le cas en Roumanie ainsi que dans certaines régions françaises. Les exemples français et roumain sont une parfaite illustration de la longévité et de la transmission des rituels de culte de l’arbre.

La Roumanie représente ici l’exemple le plus contemporain. Il témoigne d’une acculturation bien plus importante que l’exemple français pour le culte de l’arbre et de l’interpolation de nombreux éléments que l’histoire du christianisme en Roumanie explique partiellement. Selon Paul Henri Stahl qui a étudié la pratique du culte de l’arbre dans ce pays, « le phénomène s’explique aisément par les relations de la Roumanie avec la péninsule balkanique, et par l’influence du Proche-Orient. Le christianisme n’est pas exempt, à son tour, d’une certaine teinte de dendrolâtrie puisée en Syrie, en Asie Mineure et dans les Balkans, et garde des pratiques dont il a modifié l’esprit d’une façon fondamentale. »

Les populations limitrophes de la Roumanie ont aussi conservé des rituels similaires puisque « l’arbre et des souvenirs de la dendrolâtrie apparaissent dans l’art des Saxons et des Hongrois qui vivent à côté des Roumains, en Transylvanie ; on le retrouve dans celui des Slaves voisins, aussi. Les Turcs et les Tatares de la Dobroudja affectionnent plutôt le cyprès, qui se rattache à la même pensée. »

Bibliographie

Paul Henri Stahl, « La dendrolâtrie dans le folklore et l’art rustique du XIXe siècle en Roumanie », Archivio Internazionale di Etnografia e Preistoria, vol. II, 1959, Torino.

La cérémonie du breuriez à Plougastel-Daoulas


Le breuriez (de breur, frère) était jadis une institution paroissiale qui se traduisait par un rituel complexe, une frairie, c’est à dire fête populaire. Dans la commune de Plougastel-Daoulas, qui occupe une presqu’île sur la rade de Brest, l’organisation que représentait le breuriez a donné son nom à la cérémonie. On parle de rituel ou de rite du breuriez et les habitants de Plougastel disent même tout simplement « le breuriez ».

Plougastel-Daoulas

« Santé, richesse, aptitude au progrès économique, combinée avec l’attachement à la tradition, parfait accord de l’individu et de son groupe, de l’homme et du sol, qu’est-ce donc que tout cela, si ce n’est pas le bonheur ? » C’est dans la conclusion d’un long article sur Plougastel-Daoulas en 1924, que Charles Le Goffic énumère en ces termes choisis quelques-unes des qualités qui ont contribué au développement du caractère si particulier et spécifique à cette commune.

Toutefois, ces quelques mots préfigurent également la situation future de la presqu’île, dont la désagrégation croissante des breuriez, qui est alors entamée dans les années 1920, représente l’un des effets les plus remarquables, les plus flagrants et les plus révélateurs d’une évolution inévitable.

En effet, cette « aptitude au progrès économique, combinée avec l’attachement à la tradition » ne pouvait se perpétuer dans l’avenir. Pourtant, la paroisse cornouaillaise à la limite du Léon conservera encore longtemps cet équilibre et cet “aspect autre”. Faisant encore figure aujourd’hui de « conservatoire breton », (selon Jean-Yves Eveillard, Donatien Laurent et Yves-Pascal Castel, voir la bibliographie en fin d’article) pour de nombreux chercheurs, Plougastel sera célébrée dès le XVIIIe siècle comme un “verger d’Eden”, et plus concrètement comme le « jardin de Brest », par les écrivains-voyageurs (tel Jacques Cambry), collecteurs et folkloristes qui la découvrent en la parcourant. Mais elle ne pourra en définitive faire front à l’ensemble de la conjoncture et des conditions socioculturelles évoluant sans cesse, et se trouvant constamment en but avec le mode de vie traditionnel de la communauté plougastellen.

Jusqu’au début du XXe siècle, la presqu’île de Plougastel-Daoulas n’est reliée que par deux petites routes la faisant communiquer avec Loperhet et Landerneau. Les relations avec Brest, éloignée d’une dizaine de kilomètres seulement, ne s’effectuent alors que par mer. Mais en 1907 un bac à vapeur est installé au lieu-dit du Passage (an Treiz), évitant ainsi entre Brest et Plougastel le détour par Landerneau. Enfin, étape décisive, on inaugure en 1930 le pont Albert Louppe, rapidement surnommé « pont de Plougastel ».

Les influences de la ville de Brest peuvent dès lors s’exercer directement sur la commune. Ainsi, les lois du marché, celles du développement de la ville de Brest et de sa Communauté Urbaine croissante, la déperdition de la langue bretonne et la diminution de ses locuteurs, l’exode des enfants délaissant la terre et la mer, l’inflation grandissante des nouveaux résidents, et tout simplement le progrès ; autant de conditions incompatibles avec le délicat « mécanisme » de l’ancienne société plougastellen, qui était fonction de la cohésion parfaite de tous les éléments nécessaires à son mode d’existence. De ce fait, les choses s’en sont allées les unes après les autres et les traditions avec elles.

La cérémonie du breuriez

En Bretagne, la Toussaint marque davantage la fête des trépassés que celle de tous les saints. Dans ce pays où « le séjour des morts se confond avec celui des vivants », écrit Anatole Le Braz, la Toussaint célèbre les âmes des disparus, des trépassés, et « ces êtres d’outre-tombe sont désignés par un nom collectif : ann Anaon, les Âmes.»

La Toussaint

Dans la commune de Plougastel-Daoulas, la Toussaint se confond aussi avec la « Fête des Morts » ou « Nuit des Morts ». C’est le jour de l’ancienne fête irlandaise du 1er novembre – samain –, qui marque le début et la fin de l’année. C’est l’époque des « calendes de l’hiver » (kala goañv), qui désignent en breton comme en gallois les premiers jours de novembre.

Mais si novembre est le mois des morts, il ne faut pas oublier qu’il est aussi le mois des semailles, le mois de la vie. C’est le début de la longue période des mois d’hiver, qu’on appelle en breton miziou du (“les mois noirs”) – du (novembre : noir), kerzu (décembre : entièrement noir) et genver (janvier, emprunté au latin), voir les travaux de Donatien Laurent.

Un rituel exprimant la solidarité envers les morts

À Plougastel, la solidarité entre vivants pour les membres d’un même breuriez existe également au-delà de la vie, et s’exprime envers les morts au cours d’un rituel représentant la manifestation la plus remarquable de cette forme de rapports privilégiés au jour de la Toussaint.

Cette manifestation constitue sans doute la forme essentielle de la solidarité entre membres d’un même breuriez. Elle leur permet une fois l’an de réunir toutes les familles pour participer à un rite funéraire particulier, afin d’affirmer la fraternité des vivants envers les morts et d’exprimer autant que conforter ainsi symboliquement leur unité et leur cohésion sociale par l’intermédiaire de leurs morts.

La raison de ce rite se trouve dans le rapport qui est établi entre la société des vivants et celle des morts. Cette attitude découle d’une conception particulière du Breton envers la mort, car en fait, écrit Anatole Le Braz, « pour lui, comme pour les Celtes primitifs, la mort est moins un changement de condition qu’un voyage, un départ pour un autre monde. »

Une institution paroissiale

Dans le cadre restreint et isolé de la presqu’île, cette conception de la mort prend donc la forme d’un rituel funéraire qui a peut-être été unique en Bretagne et même en France, et auquel s’ajoute la particularité d’avoir subsisté sous sa forme spontanée jusque dans la seconde moitié du XXe siècle, malgré un déclin entamé dans sa pratique au cours des années 1920.

Simple institution paroissiale en pratique, le breuriez est en fait un « système complexe » ainsi qu’une unité paysanne, et l’on peut estimer qu’il a sa raison d’être dans la cérémonie que la communauté des Plougastels a pu maintenir dans ses prolongements historiques. Il prend aujourd’hui encore la forme d’un rituel auquel correspondent un réseau d’entraide et un réseau territorial, constitués des regroupements de familles de plusieurs villages dans toute la commune. On en comptait 23 en 1915.

Un rituel qui diverge d’une cérémonie à l’autre

Le jour de la Toussaint les membres des 23 breuriez (bourg compris) se réunissent en autant de lieux, mais la forme et le déroulement que prennent ces cérémonies peuvent être sensiblement différents.

Si au premier abord, on reconnaît des éléments communs à chacune d’entre elles – comme l’« arbre », les pommes et le pain –, on remarque également des divergences. Celles-ci peuvent même être tellement importantes que l’on ne peut plus à proprement parler de cérémonies, puisqu’il n’y a parfois plus d’» arbre », de pommes, ni même de chants ou de prières ; il arrive même quelquefois qu’elles n’engendrent plus aucun rassemblement. Il ne reste alors que le pain, ou c’est au contraire celui-ci qui est manquant.

Pourtant, il est probable que les breuriez n’étaient pas aussi dissemblables avant les années 1920, mais on ne peut guère solliciter davantage au-delà la mémoire des plus anciens Plougastels aujourd’hui.

Un schéma identique malgré tout

Au cours du XXe siècle, les breuriez se sont désagrégés les uns après les autres, jusqu’au dernier à s’être déroulé spontanément en 1979 au village de Larmor (an Arvor). Aussi, les descriptions suivantes et les propos des Plougastels eux-mêmes rendent compte de cérémonies s’étant généralement déroulées entre les années 1940 et 1970. Néanmoins, ces témoignages permettent de dégager une trame ou un schéma représentatifs globalement identiques pour toutes les cérémonies.

Description générale du rituel

Le breuriez s’articule autour de la tradition du bara an anaon (« pain des trépassés ») et du gwezen an anaon (« arbre des trépassés »), ou gwezen ar vreuriez (« arbre de la frairie »). Chaque famille d’un breuriez doit être représentée ce jour de la Toussaint pour participer au rituel. Celui-ci commence habituellement au début de l’après-midi. Plusieurs dizaines d’habitants du breuriez, hommes, femmes et enfants se réunissent devant la maison de l’un d’entre eux, ou dans la grange si le temps est mauvais, et parfois en un lieu immuable pour tout le breuriez.

L’arbre du breuriez

Une fois que tout le monde est rassemblé commence alors l’adjudication du gwezen an anaon, qui est généralement un « arbre » stylisé d’une hauteur d’environ 1,50 m. L’« arbre » peut être taillé dans une branche de houx qui a été écotée, écorcée et taraudée, puis sur laquelle on a inséré plusieurs dents de bois. Sur chacune de celles-ci on a fiché une pomme, et la plus grosse est au sommet de l’« arbre ».

Le porteur de l’arbre du breuriez, qui peut être toujours le même ou bien l’adjudicateur de l’année, harangue l’assemblée pour faire monter les prix et s’interrompt lorsque plus personne ne surenchérit. Mais les enchères sont souvent fictives et l’acheteur connu à l’avance, puisque l’« arbre » est généralement adjugé à tour de rôle et que son parcours est réglé dans un breuriez selon un itinéraire qui passe de maison en maison dans chaque village, afin que chaque famille puisse normalement l’« acquérir » au moins une fois dans sa vie. L’adjudicataire reçoit alors l’arbre et laisse l’adjudicateur emporter la grosse pomme du sommet. Puis, il peut enfin emporter l’arbre et le conserver dans sa maison durant une année.

Le pain et les pommes

Sur une table recouverte d’un drap blanc ou d’une nappe (doucher) ont été déposés dans une corbeille des petits pains ronds que la famille adjudicatrice avait fait bénir au presbytère le matin même ou la veille par le prêtre. Parfois, cette famille s’occupe de se procurer à la fois le pain et les pommes, mais lorsque le breuriez concerne de nombreuses familles, deux familles voisines sont adjudicatrices – l’une pour le pain et l’autre pour l’arbre et les pommes – afin que le tour du breuriez ne se réalise pas en un nombre d’années trop important.

L’assistance recueillie reprend en commun les grasou an anaon (prières mortuaires, en breton : « les grâces »), que récite à genoux le pedenner (souvent la même personne qui a l’habitude de commencer et de diriger les prières), puis le De profundis et le « chapelet des morts ».

Une fois les prières terminées, chaque famille vient prendre son pain dans la corbeille et laisse en échange une obole dont la valeur est laissée à l’appréciation de chacun.

À proximité des pains sont aussi à « vendre » des petites pommes (parfois nommées avalou an anaon : « pommes des âmes » ou « pommes de Toussaint »), disposées dans des paniers ou des cageots et que tout le monde peut « acheter » contre une obole généralement assez élevée comme pour le pain. Ce sont souvent les enfants qui en prennent, ce jour étant pour eux une véritable fête. Il peut arriver qu’on présente aussi des nèfles et même des poires en supplément. Les fruits du breuriez proviennent des vergers de la famille adjudicatrice ou, si elle n’en a pas, elle achète les fruits chez un voisin, un ami ou dans une ferme disposant de vergers. Après quelques propos, tout le monde se sépare et chacun rentre chez soi.

Le soir dans les maisons, le « pain des trépassés » est partagé avant le dîner en autant de parts qu’il y a de membres dans la famille, et l’on mange son morceau sec après avoir fait le signe de croix. Parfois on ajoute aussi d’autres prières en plus de la lecture du Buhez ar Zent (Vie des Saints).

Le lendemain, l’argent recueilli est apporté au prêtre de l’église paroissiale, qui annonce en chaire le dimanche suivant les sommes réunies par breuriez. Mais l’adjudication de l’« arbre », autant que les enchères et les oboles pour le pain ou les pommes, sont ici strictement symboliques et ne participent pas d’une quelconque opération commerciale. En fait, l’argent sert à faire dire des messes pour le repos de l’âme des disparus.

Breuriez des jeunes et des anciens

Parfois, le produit de la « vente » de l’« arbre » et du pain bénit revient au « breuriez des vieux », le breuriez ar re goz, et il sert en particulier à faire dire des messes pour les anciens ; quant au produit de la “vente” des pommes, il appartient généralement au « breuriez des jeunes », le breuriez ar re yaouank.

Mais ce “marquage” des jeunes et des vieux ne se retrouve pas qu’au jour du breuriez, et selon Gilbert Hamonic, il serait sans doute aisé de déceler au travers de certains rites chrétiens, où le breuriez se doit d’être représenté, un lien direct entre les motifs de ces réunions et l’admission de nouveaux membres dans le groupe social. Les expressions de breuriez ar re yaouank et de breuriez ar re goz viennent ici en témoigner, puisqu’elles sont employées pour définir en pratique la classe d’âge à laquelle appartient un individu. Ainsi par exemple, les nouveaux époux sont admis dans le breuriez ar re goz le jour de leur mariage.

Un an s’écoule alors avant que les membres du breuriez ne se rencontrent à nouveau de cette façon, le jour de la Toussaint.

Le breuriez de Kergarvan

Voyons maintenant plus particulièrement un breuriez, parmi les 23 qui existaient encore à une époque (vers 1915) dans la commune, celui du village de Kergarvan (au sud de la commune de Plougastel-Daoulas).

Le breuriez concernait quatre-vingts familles, réparties dans onze villages que sont, dans l’ordre du déroulement de la cérémonie et en prenant comme point de départ le premier village mentionné par les Plougastels : Runavel, Keralgi, Kerlorans, Traonliorz, Kergarvan, Kereven, le Skivieg, Keramene et le Four-à-Chaux (Forn Raz), Keralkun, Pennaneac’h-Rozegad et Saint-Guénolé (Sant Gwenole).

Selon un habitant de Keralkun, le Rozegad est considéré comme « le coin le plus vrai » de Plougastel, avec le Tinduff. Ici, le breuriez était organisé par deux familles qui gardaient les “arbres” et qui s’occupaient du pain. La cérémonie se déroulait dans les villages, et à Runavel elle se déroulait toujours au run (sorte de petit terrain surélevé derrière des maisons). On amenait toujours beaucoup d’enfants et on leur faisait des promesses : « Si vous êtes sages, vous viendrez au breuriez. » Même les bébés d’à peine un an étaient là. On achetait un tablier ou un bonnet neuf pour les filles. On ne portait sans doute pas des vêtements superbes, mais on était propre comme pour la basse-messe ou les Rameaux. La femme de la famille qui invitait était en sous-coiffe, mais les autres étaient toujours en coiffe comme un dimanche.

Douze à quinze personnes étaient là pour vendre des pommes de deuxième choix. Elles faisaient le tour de l’assemblée et proposaient leurs pommes en faisant monter un peu les prix. Tout le monde en achetait, même ceux qui avaient des vergers, parce que c’était des « pommes de Toussaint ».

On vendait aussi des poires et des nèfles blettes, les meilleures. Après, ceux qui vendaient les pommes passaient dans la maison qui invitait, on leur servait un coup à boire et ils remettaient l’argent des pommes qu’ils avaient vendues à la famille. On demandait alors à deux ou trois personnes d’habiller les arbres”, puis un homme se découvrait et portait le premier « arbre » pour le montrer à toute l’assemblée. Il annonçait une enchère de base et faisait monter les prix. Il se formait déjà deux ou trois groupes au début, qui se lançaient des enchères avec un responsable pour chaque groupe. Le porteur allait d’un responsable à un autre, et au bout d’un quart d’heure on arrêtait, le premier « arbre » était adjugé. L’adjudicataire responsable le prenait et le vendeur prenait la pomme du dessus.

Ensuite, la famille adjudicataire se rendait dans la maison de la famille qui invitait pour lui payer le montant de l’enchère et partager les pommes. S’il ne restait plus qu’une équipe, elle se divisait en deux et on reprenait les enchères jusqu’au même prix atteint précédemment par le premier « arbre ». Mais à la fin, si l’équipe avait dû se diviser, elle se réunissait à nouveau pour que chacun profite du second arbre, et de même s’il était resté deux équipes normales. Il est arrivé parfois qu’un groupe supplémentaire se crée et paye le prix fort pour obtenir l’arbre. En général, c’était parce qu’il y avait eu un décès dans une famille.

Un jour, le mouvement de jeunesse agricole chrétienne dirigé par le curé, a pris l’argent de sa caisse pour se faire adjuger l’arbre du breuriez, mais le curé a été très en colère de voir partir tout l’argent du mouvement de cette façon.

Les deux équipes de douze ou quinze personnes, auxquelles les « arbres » étaient adjugés et qui formaient quelques familles, revenaient l’année suivante vendre des pommes et garnir les « arbres ». En fait, l’arbre ne revenait pas à une équipe qui se partageait seulement les pommes. Il revenait au voisin dont c’était le tour dans le village, et il le gardait chez lui parce que sa maison était celle de la famille qui invitait l’année suivante.

Il n’y avait que le pain béni qui était à la charge des deux familles. À l’église, le dimanche suivant, on annonçait l’argent récolté par le breuriez, et là on voyait quel breuriez était le plus « puissant ».

Il fallait à peu près 40 ans pour effectuer le tour du breuriez de maison en maison. Il s’est éteint à Keralkun en 1972.

Description des arbres du breuriez

Les arbres du breuriez sont deux tiges travaillées à 8 pans, taillées dans l’if, écorcées, écotées et taraudées. Ils sont presque identiques. Sur l’un, le fabricant a assujetti 36 dents de bois avec la pointe du sommet, et il en manque désormais 5 avec celle du sommet. Il mesure 1,09 m×0,13 m (hauteur×circonférence). Il porte une bague de métal au manche, ainsi que la marque en creux : G× JM° kergarvan = 1951.

L’autre « arbre » porte 38 dents de bois avec celle du sommet, et il en manque une. Il mesure 1,17 m×0,14 m (hauteur×circonférence). Il porte la même bague de métal au manche, ainsi que la marque en creux : G× JM° K = van 1951. Donc, en 1951, le fabricant des « arbres » se nomme Jean-Marie Grignoux, du village de Kergarvan.

Il subsiste un autre arbre du breuriez, de surcroît plus ancien, et que l’on peut observer au Musée des arts et traditions populaires à Paris. Cet “arbre” est présenté dans la vitrine intitulée « Fêtes calendaires publiques », afin d’illustrer la Toussaint.

Le dossier d’objet de ce musée mentionne que « arbre à pommes » est dénommé « arbre des morts » ou gwezen an anaon. Il est entré dans les collections en 1966. Il se présente sous la forme d’une tige de bois travaillée à huit pans, écorcée, écotée et taraudée. Il est hérissé de 41 dents de bois. Il porte la marque en creux : 1864.

L’« arbre » mesure 1,08 m×0,195 m (hauteur×circonférence). Le dossier d’objet précise en outre que Jean-Marie Grignoux est le donateur de l’arbre exposé, qui a remplacé en 1951, par des nouveaux, les deux anciens arbres, dont celui-ci daté de 1864 et un autre daté de 183... ? L’arbre a été collecté le 1er novembre 1966 au village de Kergarvan par Jean-Pierre Gestin, Conservateur du Parc Naturel Régional d’Armorique.

Il existait également deux petits « arbres » (gwezennig) en aubépine noire, portant chacun trois pommes, et posés sur la table à côté du pain, que l’on retrouve sur des photographies prises au Skivieg en 1958, ainsi que sur les documents vidéo réalisés par Jean-Pierre Gestin en 1966 et 1968 au village de Keralkun.

Conclusion

L’extinction des breuriez de Plougastel-Daoulas s’est échelonnée au cours du XXe siècle : le nombre de breuriez a diminué d’abord très lentement (passant de 23 en 1915 à 14 en 1960), puis rapidement (4 en 1970, 1 en 1970, 0 dans les années 80).

Relativement à l’extinction de l’ensemble des breuriez, on peut estimer que celui du village de Kergarvan est représentatif, et on remarque que l’intérêt s’était complètement estompé dans les années 1970, comme presque partout ailleurs dans la commune à cette date. Les conditions et les motivations profondes de la raison d’existence de la cérémonie du breuriez avaient alors totalement disparu.

Il s’agit là des conséquences ultimes d’une solution de continuité entre un passé traditionnel et le présent. La désagrégation des breuriez illustre, en tant que l’un des effets les plus marquants, la déstructuration et la désintégration des parties constituantes de l’ancienne société plougastellen – c’est-à-dire un état d’anomie par rapport à un mode de vie traditionnel antérieur –, en attendant que s’y substitue le Plougastel de demain, dont la potentialité s’exprime déjà pleinement aujourd’hui.

Sources / bibliographie

Charles Le Goffic, Une cellule de l’organisme breton (Plougastel), Buhez Breiz, n°32 à n°42, août 1923 à juin 1924, rééd. dans L’Âme bretonne, 4e série, Paris, 1924, p. 68.
Gilbert Hamonic, Les relations d’échange d’une communauté paysanne de Basse-Bretagne. Essai d’ethnohistoire sur les breuriez de Plougastel-Daoulas, Paris, 1977, p. 79.
Henri-François Buffet, En Bretagne morbihannaise. Coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au XIXe siècle, Grenoble–Paris, 1947, p. 131.
Donatien Laurent, Le juste milieu. Réflexion sur un rituel de circumambulation millénaire : la troménie de Locronan, Tradition et histoire dans la culture populaire. Rencontres autour de l’œuvre de Jean-Michel Guilcher, Documents d’Ethnologie Régionale, n°11, CARE, 1990, Grenoble, p. 260, n. 16.
Jean-Yves Eveillard, Donatien Laurent et Yves-Pascal Castel, Un dieu antique de la fécondité à Plougastel-Daoulas (Finistère), Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. CV, 1977, Quimper, p. 82.
Jacques Cambry, Voyage dans le Finistère ou état de ce département en 1794 et 1795, Paris, an VII, 3e éd., annotations par M. le Chevalier de Fréminville, Brest, 1836, p. 249.
Anatole Le Braz, La Légende de la Mort en Basse-Bretagne. Croyances, traditions et usages des Bretons Armoricains, Paris, 1893, 5e éd. 1928, La Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains, 2 t., t. I, p. LVII.
Eric Martin, Milieu traditionnel et religion populaire. La cérémonie du breuriez à Plougastel-Daoulas, mémoire de Maîtrise, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1993.
Eric Martin, L’Arbre, la Pomme et la Mort. Un rituel funéraire en Bretagne et en Roumanie, mémoire de DEA, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1994.
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