vendredi, juin 30, 2006

Funérailles et culte de l’arbre

Le culte de l’arbre, tradition ancestrale d’origine celte en Bretagne, vraisemblablement dace en Roumanie, est particulièrement présent lors des funérailles. Dans ces régions, l’arbre est en effet fréquemment associé à la mort si bien qu’il participe au déroulement de la cérémonie funéraire.

1) Arbre de la vie, arbre de la mort

Pour les paysans roumains, l’arbre est le symbole du Paradis. C’est sans doute la raison pour laquelle il est si souvent associé à la mort. Alain Bouras écrit à ce sujet que « la prière et le chant des aurores (« zori ») renseignent sur ce point. Au début de la mort est un voyage.

« Brade, brade sa-mi fi frate întinde, te întinde eu sa le pot prinde vîrfurile tale sa trec peste ele marea în cea parte ce lumea-mi desparte ».
« Sapin, ô sapin, sois mon frère et étends-toi que je puisse saisir ta cime que je passe sur eux cette mer qui me sépare de l’autre monde. »

On demande au sapin qu’il fasse un pont sur la grande eau qui sépare ce monde de l’autre. Le mort est supposé chanter cette « prière » alors qu’il arrive « au sapin des fées » qui marque le gué. Dans la suite du texte l’arbre après un moment d’appréhension finit par se pencher : le mort, lui, a dit que des frères et des cousins allaient le couper, des artisans allaient le sculpter pour faire de lui :

« Punte peste mare
s-aiba trecatoare
suflete ostenite
catre rai pornite ».
« Un pont sur la mer
pour qu’ait le passage
l’âme errante
partie vers le Paradis. »

[…] L’arbre sert donc à passer d’un monde à l’autre. Il est le pont ou le gué entre les deux mondes, et peut-être la seule brèche identifiée. Ne s’agit-il pas tout simplement de « l’arbre de vie », tel qu’il est connu dans bien des cultures, qui permet de passer d’un monde à un autre, dont les racines poussent sous terre, et la cime au ciel, le tronc appartenant à notre monde ? » Dans son rapport avec la mort pendant la fête, l’arbre est donc utilisé à des fins propitiatoires en tant que médiateur favorable. Il est non seulement reconnu par les vivants comme le moyen traditionnel qui permet à l’âme du défunt de parvenir sans encombre dans l’autre monde, mais il est aussi le garant de l’accession à cet autre monde pour la communauté tout entière qui régule le flot de ses membres en faisant participer tout le groupe au départ d’un seul individu.

2) Le déroulement des funérailles

Paul Henri Stahl écrit que « pour les fêtes du village, on utilisait n’importe quelle espèce, tout en préférant le sapin. Pour celles de la famille, le sapin, le pommier et le prunier étaient les seuls admis. Au premier cas, l’arbre n’était que rarement décoré ; au second il l’était toujours. Celui des cortèges funèbres portait aussi des dons (petits pains, craquelins, pommes, etc.) qui assuraient au mort les aliments nécessaires dans l’autre monde. »

Lors des cérémonies funéraires plus particulièrement « le sapin était souvent remplacé, sur les tombes, par les pommiers, poiriers ou pruniers, auxquels on attachait des fruits (quelquefois dorés), du pain d’épice, des craquelins, petits pains et pigeons en pâte. Une petite échelle, en pâte également, était appuyée à l’arbre. Une main moulée y figurait aussi. Des pièces de toile brodées et des rubans le garnissaient. Un cierge et un seau d’eau étaient posés près de lui. À la fin de la cérémonie on distribuait le tout en guise d’aumône. On manquait rarement de planter, près de la croix, un arbre fruitier, qu’on soignait. Des fruits et des arbres étaient distribués aux enfants et aux amis lors de la commémoration des défunts. C’était pour s’assurer une part, en retour, dans l’autre vie. »

On peut apprécier ici le rôle funéraire de l’arbre qui est dévolu notamment au pommier, et sa nature de fruitier dévoile alors toute son importance. L’importance accordée à la pomme comme nourriture pour le mort ou ces proches paraît faire de tout arbre funéraire un pommier funéraire, c’est-à-dire un arbre fruitier funéraire. Ainsi et même si les pommes ne sont que factices « le sapin des tombeaux du Nord de la Petite Valachie, qui orne le lieu de repos des jeunes gens non mariés, porte habituellement des pommes réalisées avec les branches recourbées de l’arbre, qui étaient ensuite couvertes de papier. Les branches qu’on offrait en aumône portaient aussi des pommes. » Manifestement le pommier est l’une des représentations privilégiées de l’arbre funéraire.

3) À la table du mort

Ce dernier exemple, présenté par Jean Bernabé dans son travail sur l’Olténie du Nord au sud-ouest de la Roumanie, expose la tradition du premier repas lors de l’enterrement. « À la tête de la table qui compte le plus d’invités on remarque maintenant une petite table ronde avec une ou deux chaises. C’est la « table du mort ». À côté de celle-ci se trouve la maîtresse de maison, tenant une branche de pommier dans la main. Comme pour les chaises, il y a deux branches si des exhumés sont également commémorés. Alors commence la bénédiction des tables.

Le prêtre encense d’abord la petite table ronde et ensuite la grande, en gardant sa position initiale. Ayant terminé, il passe avec l’encensoir entre les grandes tables et les bancs. Sur ce trajet, il est précédé par son aide qui porte une « coliva » supportant un ou plusieurs cierges. Après le prêtre viennent, en file indienne, la femme avec la branche de pommier et sous le bras gauche une poule vivante, une autre femme (éventuellement une voisine ou une jeune fille), qui tient un pain rond avec un cierge allumé au milieu et une cruche remplie d’eau, enfin, une femme qui tient une cruche avec de l’eau, qu’elle verse entre les tables et les bancs. Après cela, la table du mort et la branche de pommier sont données « de pomana » à une femme pauvre, ceci avant que les invités ne commencent le repas. »

Chaque élément a ici une signification particulière. La branche de pommier est un « symbole composé de la condition de l’âme. Elle comporte plusieurs objets :
1) au sommet, dans une fente pratiquée à dessein : une pièce de monnaie,
2) liée au sommet : un cierge,
3) attachés à la partie principale : une quenouille de laine, une de chanvre et une d’étoupe,
4) autour d’une branche plus mince : un pain rond et creux au milieu appelé « covrig » et que nous avons trouvé aussi au bras du mort, indépendamment du sexe ou de l’âge,
5) sur les branches latérales : des pommes en nombre impair,
6) liés à la branche principale, vers le milieu : deux épis de maïs,
7) à la même hauteur est lié un mouchoir avec une pièce de monnaie. »

Bibliographie

Jean Bernabé, Le symbolisme de la mort. Croyances et rites roumains, Gent, 1980.
Anatole Le Braz, La Légende de la Mort en Basse-Bretagne. Croyances, traditions et usages des Bretons Armoricains, Paris, 1893, 5e éd. 1928
Éric Martin, L’Arbre, la Pomme et la Mort. Un rituel funéraire en Bretagne et en Roumanie, mémoire de DEA, dact., UBO, Faculté des Lettres et Sciences Sociales Victor Segalen, CRBC, Brest, 1994.

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